Menu Présentation :: Journal du jour :: Portraits :: Annexes :: Cartes :: Le forum ::-:: Retour site général ::-::

L'arrivée des premiers Européens aux Îles Marquises   DOC n°2

Arrivée dans la baie de Vaitahu
Photo © Annie Baert
Océan Pacifique, 10° 30’ de latitude sud, 21 juillet 1595, fin de l’après-midi. Un homme crie : « Terre devant ! », et quatre navires s’immobilisent. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ?

Ils avaient quitté le Pérou cinq semaines plus tôt, sous le commandement d’un homme âgé d’environ 45 ans, Álvaro de Mendaña y Neira, qui venait de passer plus de la moitié de sa vie à se battre contre vents, marées, pirates et fonctionnaires, afin d’aller s’installer aux îles qu’il avait découvertes en 1568 et nommées « Salomon ».

Il les avait trouvées par hasard, évidemment, quand son oncle, alors gouverneur du Pérou, l’avait envoyé vers l’ouest à la recherche des terres où le grand roi dont parlait la Bible était allé remplir ses vaisseaux d’or et de pierreries. De l’or, il n’en avait pas trouvé ; l’accueil océanien, d’abord chaleureux, mais méfiant, avait pris un tour plus hostile quand les étrangers  avaient insisté pour obtenir de plus en plus de vivres, en quantité sans doute trop élevée pour les ressources des îles — on parlait même d’un épisode de cannibalisme ; le climat tropical s’était révélé inhospitalier pour des hommes à l’organisme affaibli et vulnérable à la malaria ; et le scorbut avait frappé lors de l’interminable traversée de retour. Mendaña était donc revenu au Pérou au bout de 22 mois d’une expédition douloureuse, qui avait vu la mort de 35 de ses hommes, plus d’un sur cinq.

 
  Grand tiki de Puamau.
Photo © Annie Baert

Et pourtant, pendant 25 ans, il ne pensa qu’à y retourner. Ayant obtenu l’autorisation du roi d’Espagne en 1574, il dut faire preuve de patience quand se présentaient des événements imprévus ou quand un vice-roi lui était hostile, et convaincre le plus possible de ses semblables de vendre leurs biens pour l’y accompagner : son discours devait être particulièrement efficace, puisqu’il parvint à réunir plus de 400 personnes de s’embarquer avec lui dans cette formidable aventure.

Puisqu’ils partaient vivre aux îles Salomon, beaucoup partirent avec toute leur famille, et Mendaña lui-même emmena son épouse, doña Isabel Barreto. Il avait acheté deux grands navires, qui portaient chacun environ 180 personnes, la San Jerónimo et la Santa Isabel. La flotte comprenait en outre deux bateaux plus petits, la Santa Catalina et la San Felipe, qui étaient la propriété de leurs capitaines respectifs, et sur lesquels on trouvait de 20 à 30 passagers. Leur faible tirant d’eau les destinait à l’exploration des eaux côtières, où les plus gros vaisseaux ne pouvaient pas naviguer sans danger.

Ils se trouvaient devant Fatuiva, mais ils ne le savaient pas. Mendaña crut un moment être arrivé aux îles Salomon, mais il comprit bien vite qu’il venait d’ajouter un nouvel archipel aux connaissances européennes. Son obligation étant de lui donner un nom, il lui donna celui du vice-roi du Pérou, en signe de reconnaissance pour son intervention personnelle, qui lui avait permis de mener à bien son projet, don García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete1 : c’est ainsi qu’on parla désormais des « îles Marquises de Mendoza », puis plus simplement des « îles Marquises ». Il lui fallait aussi attribuer un nom chrétien à chacune d’entre elles, et Fatuiva, aperçue la veille de la Sainte-Madeleine, devint La Magdalena ; Hiva Oa, vue un dimanche, fut appelée La Dominica ; Tahuata, découverte le jour de la Sainte-Christine, devint Santa Cristina, et la plus petite reçut le nom du premier des saints, San Pedro.

Pour Mendaña, il n’était pas question de s’installer dans ces îles, malgré tous leurs attraits, mais il convenait de compléter les provisions de vivres frais et d’eau douce, car il ne savait pas où il était, ni combien de chemin il lui restait à parcourir avant d’arriver à destination. Pour ce faire, il fallait une baie où les navires puissent jeter l’ancre en toute sécurité, qui fut  découverte au bout de huit jours passés à tirer des bords au large, devant le village de Vaitahu, à Tahuata, et appelée Madre de Dios. C’est là que les religieux du bord érigèrent une croix et dirent la première messe, le 28 juillet 1595, à l’endroit où se dresse aujourd’hui la belle église de Notre-Dame de l’Enfant Jésus.

Les quatre navires y restèrent une semaine, avant de repartir vers l’ouest, le 5 août, sans remonter en latitude, ce qui les empêcha d’apercevoir les îles du groupe nord.

Le séjour de Mendaña et de ses compagnons fut marqué par des événements contradictoires. Les Espagnols voulaient établir de bonnes relations avec les Marquisiens, afin d’échanger avec eux et d’obtenir des fruits et des porcs. Mais, effrayés par leur grand nombre et leur impressionnant aspect physique (un marin parla plus tard des « îles des Géants » au sujet des Marquises), ils firent preuve de brutalité et de cruauté, et on déplora entre 25 et 70 morts parmi les habitants de Vaitahu, ce que le chef-pilote Pedro Fernández de Quirós, l’auteur du seul récit que nous ayons de cette expédition, condamna fermement et sans équivoque.

Mais il y eut aussi des contacts plus sympathiques : de belles jeunes filles, sans doute tentées par la nouveauté, vinrent s’offrir aux jeunes soldats ; des villageois bavardèrent avec les marins, pour apprendre quelques mots de leur langue et leur enseigner un peu de la leur ; des constructeurs de pirogue expliquèrent leur technique aux navigateurs étrangers et leur montrèrent leurs outils… Et quand Mendaña décida de lever l’ancre, un Marquisien manifesta le désir de partir avec lui — ce qui était interdit par les Instructions Officielles.

Aujourd’hui, il ne nous reste de ce court séjour que 16 pages du récit que Quirós rédigea quelques années plus tard2, où il décrit ce qu’il a pu observer aux Marquises : la beauté et la force des habitants, leur teint clair et leurs tatouages, et la nudité totale des hommes, qui contrastaient avec les femmes, « couvertes de la poitrine jusqu’aux pieds » ; le relief et la végétation, dont le savoureux fruit de l’arbre à pain, « aux feuilles découpées comme celles du papayer », et les fosses où on le conservait ; la forme et la couverture des maisons, les rues empierrées et la disposition du village ; un lieu de culte, avec des statues de bois si différentes de ce qu’on faisait alors en Europe qu’il les jugea « mal faites » ; des pirogues « très grandes et très bien faites […] qui pouvaient porter de 30 à 40 rameurs ». Le chef-pilote conclut ce passage en regrettant amèrement l’incompréhension mutuelle, qui avait été à ses yeux la source de tous les maux. Il continua à naviguer et découvrit d’autres îles, en particulier aux Tuamotu (il fit une escale à Hao) et au Vanuatu, en 1606. Mais il n’oublia jamais ces quatre îles, « les plus belles qu’il ait jamais vues », et qui faisaient partie du « Paradis Terrestre » qu’il affirmait avoir découvert dans la Mer du Sud.

Le commandant de l’expédition, Mendaña, dut sans doute les regretter également, car elles virent la dernière période heureuse de sa vie : il mourut en effet à son escale suivante, dans l’île de Santa Cruz, aux Salomon, le 18 octobre 1595, de « fièvres tropicales », après avoir réprimé une tentative de mutinerie menée par certains de ses hommes, dont il avait déjà pu constater l’indiscipline et la brutalité à Tahuata. Il faut relever pour terminer que, bien qu’il ait ignoré que le vrai nom des îles Marquises (pour le groupe sud) était Fenua Enata, celui qu’il leur donna, aujourd’hui universellement connu, si joli et si poétique, sied fort bien à leur beauté et à leur majesté.
Plaque commémorative de Tahuata
Photo © Annie Baert

1 Voir son portrait-biographie, Annie Baert : « Don García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete (1535-1609), le vice-roi du Pérou qui donna son nom aux Îles Marquises », in : P. Vérin & R. Veccella (s.d.) : L’Amérique hispanique et le Pacifique, Paris, 2005, Kartala, pp. 71-88.

2 Pedro Fernández de Quirós : Histoire de la découverte des Régions Australes (Salomon, Marquises, Santa Cruz, Tuamotu, Cook du nord, Vanuatu), Paris, 2001, L’Harmattan.
Rédacteur :: Annie Baert

      © GRAN 2006