Bernard Liou

Bernard,

Il fallait en trouver un pour te parler au nom de ta famille et de tous tes amis mais c'est un exercice bien complexe puisqu'il s'agit de tenter d'enchaîner quelques idées, au nom d'une assemblée dont on ne connaît pas vraiment tous les chacun ...

Comme tu le sais, je suis franc et je dois te le dire, c'est bien la première fois que je suis bien embêté, face à toi, car je ne sais pas comment attaquer le discours ...

Certes, les sujets qui pourraient s'imposer sont multiples mais ils sont justement bien trop nombreux pour aider à sortir de l'embarras :
- on ne va tout de même pas évoquer ton cursus, qui commence par ton séjour dans la Royale, là où tu as tant appris à aimer l'eau,
- on ne peut pas dresser ici la liste de tes travaux de recherche, sur les amphores ou les lingots, les Étrusques ou les Bétiques,
- parler du Drassm ou de l'Université,
- évoquer Bolsena et Vaison-la-Romaine, les tituli picti ou les archives de la Grande Maîtresse,
- invoquer Vitruve ou Verdi, Simenon ou Camillieri ...
D'autres, mieux documentés, s'en chargeront comme il convient.

Alors, il y aurait bien la solution du petit poème mais, ces temps-ci, tes amis - dont je suis - ne sont pas trop inspirés.

Pour être positif, je vais toutefois mettre en avant deux images, ou deux regards, je ne sais faire la différence.

La première touche à "Bernard Liou - honnête homme" ancré dans nos domaines qui naviguent entre Histoire et Archéologie.

L'image concerne une de tes principales qualités, inscrite dans ta vaste culture, tant classique que contemporaine ; il s'agit de ce mariage entre le goût de la recherche, le respect du document, quel qu'il soit, et l'exercice, toujours difficile, de son interprétation critique, le tout avec des mots justes, des démonstrations irréprochables et des références précises. Cette procédure scientifique, tu la transmettais à ton entourage, qu'il s'agisse des étudiants ou de tes collègues-chercheurs et elle sert naturellement de base à tes écrits rigoureux qui sont là pour en témoigner.

Pour la seconde image, allons-y par un autre chemin pour faire connaître et partager une impression, un sentiment qui restera, celui que tu as communiqué à plusieurs d'entre nous, depuis le début du mois de juillet.
C'est ce que je voudrais faire savoir à ta famille et à tous tes amis.
Bernard, ton départ était annoncé ... mais tu as préféré mépriser cette réalité ..., ou cette banalité.
Tu as choisi une voie difficile et aventureuse qui nous inquiétait car tu t'es engagé dans un voyage.
Nous t'avons écouté, les uns et les autres et, au bout du compte, la permanence de ton discours s'est avérée d'une grande cohérence.

Tous les témoignages sont concordants.
Il est le suivant :
Tu nous disais, tout simplement, que tu étais en Corse, avec l'Archéonaute.
Et tu affichais une mine ravie avec un sourire malicieux.
Et, puisque tu étais en Corse, tu t'inquiétais même, parfois, de la façon dont on allait rentrer après t'avoir rendu visite sur ton lit de rêves.
De ce voyage dans lequel tu t'es engagé, en définitive, nous sommes rassurés.
Car nous n'avons aucun doute :
- tu as réussi à t'abstraire d'une réalité qui n'était navrante que pour les autres,
- tu as réussi à rejoindre les meilleurs moments de ta vie et à vivre, à nouveau, dans cet univers préféré de toi ; est-ce-toi qui les a rejoint ou bien ces moments se sont-ils immiscés en toi ? Le résultat est le même.
Et tu as eu raison.
Et tu as été le plus malin d'entre nous.
Et ainsi, de cette croisière que tu effectues sur l'Archéonaute, au large de l'île, nous sommes rassurés, pour toi.

Lucien Rivet

24 juillet 2006

Marseille, cimetière Saint-Pierre