par veccella le 04 Janvier 2010 03:34
Voici un long message du Docteur Baillet sur le sujet. Une nouvelle fois nous saluons ce spécialiste qui a bien voulu avec courtoisie nous apporter une réponse particulièrement détaillée. Comme je l’ai précisé précédemment, les différents sites du Docteur Baillet sur l’artillerie et les fortifications sont remarquables avec une approche historique et archéologique particulièrement intéressante.
Bonne lecture du texte ci-dessous et bonne visite des deux sites indiqués.
Robert Veccella
« Bonjour,
La question est simple... La réponse est sensiblement plus complexe.
Avant de porter notre regard en direction des affûts de côte, il convient de revenir sur cette notion de "systèmes d'artillerie".
En effet si, pour la première fois, l'ordonnance de 1732 définit une liste de bouches à feu en bronze susceptible d'être utilisée par l'artillerie française, il s'agit bien de matériels dédiés à l'artillerie de terre. Elle en fixe les dimensions et l'ornementation (ce dernier principe ne sera pas toujours respecté). De facto, les pièces en usage dans l'artillerie de côte en sont exclues. Cependant cette normalisation ne porte que sur les bouches à feu et n'a pas été étendue aux affûts. Il faut noter que, sous une forme plus schématique (cf. M. Decker), une même disposition sera prise en 1733 pour les bouches à feu de l'artillerie navale en fonte.
L'usage est, depuis la première moitié du XIXe de qualifier les bouches à feu du modèle 1732 de "système Vallière". Cet usage est infondé car il n'est attesté par aucun document contemporain, officiel ou non, et, d'après M. Decker et je suis tout à fait d'accord avec lui, "les justifications qu'on en donne a posteriori pêchent couramment par diverses erreurs et confusions".
Pour cette période du XVIIIe, on se référera utilement à deux sources majeures, les publications de Surirey de Saint-Rémy.
1. SURIREY DE SAINT-REMY (Pierre) - Mémoires d'artillerie, où il est traité des mortiers, pétards, arquebuses à croc, mousquets, fusils, des bombes, carcasses, grenades, etc. de la fonte des pièces, de la fabrication du salpestre & de la poudre ; des ponts, des mines et charettes et chariots, des chevaux et généralement de tout ce qui dépend de l'artillerie tant par mer que par terre. de l'arrangement des magasins, la formation des équipages & des parcs à la suite des armées et pour les sièges, de la marche des équipages et leur disposition dans un jour de combat. Amsterdam, Pierre Mortier, 1702; 2 vol. in-4, (1), 1-348 pp.,114 pl. h-t. ; 1-386 pp., 71 pl. h-t.
2. SURIREY DE SAINT-REMY (Pierre) - Mémoires d'artillerie. Troisième édition, beaucoup plus ample & plus complette que la seconde. Paris, Charles-Antoine Jombert, 1745 ; 3 vol. in-4, [16] (faux titre & titre, dédicace au Prince de Dombes, avertissement, préface, tables), LXIV-338 pp. ; [12]-400 pp. ; [12]-468 pp. ; [19] ff.n.ch. (TdM, privilège).
Edition, présentée comme étant la plus complète de cet ouvrage de référence sur l’artillerie du XVIIIe siècle. Cette troisième édition est toutefois particulière car les pièces d’artillerie décrites sont largement obsolètes. Elle a été simplement complétée par Guillaume Le Blond qui y ajoute un recueil d’édits et d’ordonnances dont la très importante ordonnance sur l’artillerie de 1732 ainsi que plusieurs mémoires. D’abord parue en 1697 puis en 1702 (en deux volumes). Pierre Surirey de Saint-Rémy (1650-1716) fut en effet le premier à tenter avec succès une synthèse à la fois théorique et pratique, l’ouvrage connaît un immense succès dès sa parution, d’autant qu’il fut recommandé par Frézeau de La Frezelière, Saint-Hilaire, Feuquières, Folard, etc. Le premier tome comprend un portrait de Pierre Surirey de Saint-Rémy d’après Hyacinthe Rigault gravé par Le Paultre. L'intérêt de cette édition est essentiellement justifié par la présence, in extenso, de la célèbre ordonnance de 1732 accompagnée de ses superbes planches.
La première édition, en 1697, a été complétée par une seconde, publiée en 1702, et sensiblement meilleure (je ne dispose pas de cette première édition, seulement des deux suivantes, mais je l'ai eu longuement en main). L'édition de 1745 a été reprise par Leblond, collaborateur des encyclopédistes Diderot et d'Alembert et auteur d'ouvrages de vulgarisation sur l'art militaire, l'artillerie et les fortifications. Les publications de Leblond, largement diffusées et aujourd'hui sans caractère de rareté, comportent de nombreuses erreurs qui induiront dans l'erreur de nombreux auteurs. C'est malheureusement encore le cas aujourd'hui ! Par contre, on trouve dans cette troisième édition, la publication in extenso de l'ordonnance de 1732 agrémentée de ses somptueuses gravures.
Il en ressort qu'il n'est pas possible de trouver des informations systématisées sur un "système Vallière" qui n'est que virtuel !
Pourtant, si pour cette période 1732-1764, la conception des affûts à rouage (pièces de campagne et de siège) n'évolue guère et reste hétérogène, il n'en va pas de même pour les affûts de position qui reçoivent des solutions à châssis :
1. Affût à châssis semi-fixe, Gribeauval (1749), pour les places
2. Affût à châssis orientables sous grand-angle, Berthelot (1764), pour les côtes
Avec la tentative, non aboutie au départ (1764) de normalisation de Gribeauval, on rentre effectivement dans une logique systémique dont les axes majeurs peuvent être résumés ainsi :
1. Emploi spécialisé des bouches à feu : campagne - sièges - places et côtes
2. Normalisation de la totalité du matériel (bouches à feu, affûts, attirails, munitions, etc.)
3. Recherche d'une qualité homogène de construction visant à garantir l'interchangeabilité des différents éléments d'un système.
Il fait porter ses efforts sur le matériel de campagne et les matériels de siège et place ne semblent pas avoir connus d'évolution majeure si ce n'est en terme de normalisation des dimensions. A noter que pour l'artillerie de côte, on régularisera ultérieurement les dimensions des canons de côte en fonte sur celle de l'artillerie navale Mle 1786 qui, elle-même, reprend les principes normalisation de Gribeauval. Je suis toutefois étonné de voir citer un matériel utilisant des affûts à échantignolles comme composant du système de Gribeauval.
Pour le matériel de Gribeauval, on se référera utilement à :
1. SCHEEL (Capitaine de) - Mémoires d'artillerie, contenant l'artillerie nouvelle ou les changemens faits dans l'artillerie françoise en 1765. Avec l'exposé et l'analyse des objections qui ont été faites contre ces changemens. Deuxième édition. Paris, Magimel, an III (1795); in-4, Deux parties en un vol. XXIV, 344, 165 pp., III tables & XXX pl. repliée.
2. MONGE (Gaspard) - Description de l'art de fabriquer les canons, faite en exécution de l'arrêté du Comité de Salut public, du 18 pluviose de l'an 2 de la République française, une et indivisible. Paris, Comité du salut Public, an II (1794); in-4, 231 pp., un cahier manuscrit, 60 grandes pl. dépliantes h-t.
Et, pour le matériel de côte du système Gribeauval, la publication de M. Decker (pp. 52-53)... sur les Canons de Valmy (catalogue de l'exposition de 1989) !
DECKER (Michel) - Les canons de Valmy. Modèles réduits d'étude d'artillerie de la fin du XVIIIe siècle système Gribeauval. Paris, Hôtel National des Invalides - Musée de l'armée, 1989; in-4, 64 pp.
De manière plus générale, mais un peu hermétique pour le non spécialiste, la publication dont je me suis inspiré pour ce bref résumé:
DECKER (Michel), LELUC (Sylvie) - Petits modèles d'artillerie. Paris, Musée de l'Armée - Hôtel national des Invalides, 1994; in-4, 240 pp.
Pour finir, je me permets de suggérer à l'auteur de la question de consulter ma bibliographie critique sur l'artillerie et les fortifications que l'on peut consulter (librement !) à l'adresse suivante : <http://www.fortifications.fr/Biblio%20%26%20publications/bibliographiefor.html>. Il doit s'y trouver nombre d'ouvrages qui abordent l'artillerie de côte, mais le temps me manque pour en faire une liste spécifique qui soit exhaustive.
Si de plus amples précisions s'avéraient nécessaires, je reste bien évidemment à votre disposition.
Avec mes meilleurs vœux pour 2010 et bien cordialement.
Dr BALLIET Jean-Marie
Web pages – Sites Internet <http://www.artillerie.info> & <http://www.fortifications.fr>
Blog <http://www.artillerie.info/Blog/Blog_Artillerie_-_Fortifications/Blog/Blog.html>